Maurice Larguinat se souvientâŠ..
La Marquise de Saint Firmin
La vieille Marquise habitait la Petite Forge, une trÚs jolie maison bourgeoise entourée de beaux arbres et qui appartenait du Duc de Maillé.
Dans le parc , se promenaient cinq Ă six paons dont les fameux « lĂ©on-lĂ©on » sâentendaient jusquâĂ Bigny. Elle nourrissait Ă©galement une kyrielle de chats pour lesquels elle avait une vĂ©ritable passion.
Cette vĂ©nĂ©rable dame, toujours « tirĂ©e Ă quatre Ă©pingles », dans le style vieille France, portait mitaines et chapeaux Ă fleurs. Descendante dâune longue lignĂ©e, elle sâappelait Marquise Jeanne Hazon de Saint Firmin.
Elle avait sa place rĂ©servĂ©e Ă lâĂ©glise⊠et il ne faisait pas bon utiliser sa chaise.
Dans son ombre, vivait sa bonne, Suzanne.
Maurice Larguinat se souvient quâun soir dâĂ©tĂ©, alors quâil Ă©tait en vacances chez sa grand-mĂšre, il vĂźt venir Suzanne tenant Ă la main un sac dâune autre Ă©poque (qui devait contenir tout son avoir) et demander asile pour la nuit car la Marquise, sa patronne, lâavait jetĂ©e Ă la porte.
Comme la famille allait se mettre Ă table, la grand-mĂšre lui proposa de souper avec eux, ce quâelle accepta avec empressement racontant , entre autres choses, que « Madame se mettait souvent en colĂšre⊠et quâil fallait plier ou partir » . On peut supposer que ce soir-lĂ , Suzanne avait tenu bon.
Le souper terminĂ©, la grand-mĂšre la conduisit au « domaine » , en face oĂč on lâinstalla dans une chambre prĂšs du poulailler. Le lendemain, elle vint remercier et but le cafĂ© avec la famille⊠Il semble que la nuit ait apaisĂ© sa rancĆur car elle regagna la « Petite Forge » oĂč lâattendait sans doute la Marquise, les deux femmes se disputant certainement assez souvent .
Pour se dĂ©placer, ladite Marquise utilisait une bicyclette Ă roues en bois⊠Plus tard, vers 1933, elle fit lâacquisition dâune Peugeot cinq chevaux. CâĂ©tait une conductrice dâune prudence excessive. Quand elle arrivait Ă un carrefour, elle arrĂȘtait la voiture, descendait et allait « inspecter »à droite et Ă gauche ⊠pour constater que la voie Ă©tait bien libre !
Sa sĆur, qui habitait au chĂąteau familial de Levet, venait dĂ©jeuner avec elle . CâĂ©tait un spectacle de voir passer cette belle femme montĂ©e en amazone sur un cheval blanc quâelle poussait au galopâŠ
Mais si la Marquise avait une passion pour les chats, elle ne se lassait pas de traduire leurs attitudes avec ses pinceaux et ses pastels. Ses huiles, quâon a pu admirer dans diffĂ©rentes expositions , en faisaient une grande artiste. Elle publia Ă©galement, en 1931, un livre signĂ© Jeanne dâHazon : « Raton â Simple histoire dâun chat heureux »,prĂ©facĂ© par Hugues Lapaire, qui nous propose « de prendre ce livre sur nos genoux, devant un feu clair de hĂȘtre sec, et vous verrez combien vous serez charmĂ© par son « Roman » poĂ©tique et tendre » . Lâauteur a su trouver, pour la fin de son chat, des accents de poĂšte « Le mal a progressé⊠Cette fois la mort le tient, elle le prend en trahison ».
Terminons par une anecdote , racontĂ©e Ă Maurice Larguinat, par Solange PĂ©ronnin, qui traduit combien cette femme dâun autre temps avait conservĂ© une Ă©ducation soignĂ©e dans sa tenue comme dans son parler :
S.PĂ©ronnin se trouvant chez M.Gaulier, Ă©picier Ă Bigny vit entrer la Marquise qui, passant devant tous les clients, montra au commerçant une boĂźte de cassoulet lui demandant sâil nâavait pas une autre marque⊠La rĂ©ponse Ă©tant nĂ©gative, la Marquise rĂ©torqua : « Il eut Ă©tĂ© inutile que jâattendisse plus longtemps »