Nous remercions vivement les « Archives du Cher » de nous avoir communiquĂ© et permis la publication dâun extrait des « Cahiers Jean Giraudoux » paru en 1986, intitulĂ© « Un AumĂŽnier peu ordinaire
UN AUMONIER PEU ORDINAIRE
Au moment oĂč Jean Giraudoux entame au LycĂ©e de ChĂąteauroux « ce bail que les enfants passent vers leur onziĂšme annĂ©e avec les sciences et les arts », lâĂ©tablissement vit sous lâautoritĂ© morale et spirituelle de la « TrinitĂ© sainte », composĂ©e du proviseur Malinet, du surveillant gĂ©nĂ©ral DuchĂąteau, de lâaumĂŽnier du lycĂ©e, lâabbĂ© Jouve. Le censeur (cet idiot de censeur) nâĂ©tait pas reconnu comme faisant partie de ce gouvernement.
Le proviseur et le surveillant gĂ©nĂ©ral ont Ă©tĂ© mis en scĂšne ou Ă©voquĂ©s dans lâĆuvre romanesque ou les discours de Jean Giraudoux. Sur lâabbĂ© Jouve, nous ne trouvons que cette phrase tirĂ©e de la chronique « 15 octobre 1919, de Saint-Amand en Bourbonnais, intĂ©grĂ©e dans le recueil Or dans la nuit : « lâabbĂ© Jouve est mort avant-hier, qui signait Lucien Donel, notre aumĂŽnier qui nous lisait Ă lâĂ©tude son roman sur les mariages consanguins ». Ce passage laconique ne rend guĂšre compte en vĂ©rité de lâinfluence que put avoir lâaumĂŽnier sur le jeune garçon, non plus que de lâaffection admirative quâils se portaient lâun lâautre. A cet Ă©gard le poĂšme retrouvĂ© vient conforter les tĂ©moignages des condisciples de Giraudoux qui ont toujours insistĂ© sur les rapports dâestime et dâaffection ayant uni le prĂȘtre et le lycĂ©en.
NĂ© aux Forges de Bigny, prĂšs de Saint-Amand, le 2 mai 1849, lâabbĂ© Lucien Jouve a pris en 1878 ses fonctions dâaumĂŽnier au lycĂ©e de ChĂąteauroux.. DistinguĂ©, de haute taille, lâĆil bleu et vif, raffinĂ© dans son vĂȘtement, lâabbĂ© a belle allure lorsquâil traverse , la canne noire dans sa main gantĂ©e, la cour du lycĂ©e accompagné de Black son fidĂšle setter noir et feu.
Excellent prĂȘtre, orateur de talent, collectionneur de minĂ©raux , ornithologue distinguĂ©, lâabbĂ© Jouve est par-dessus tout dĂ©vorĂ© par le besoin dâĂ©crire. Fier de sâintituler « membre de plusieurs sociĂ©tĂ©s savantes », il sera reçu Ă la SociĂ©tĂ© des Gens de Lettres le 7 dĂ©cembre 1903.
Sous son nom, il publie plusieurs ouvrages de religion : en 1883 Les Doctrines nĂ©gatives considĂ©rĂ©es dans leurs rapports avec lâexistence de Dieu ; en 1887 , Dieu dans lâhistoire ou la foi du genre humain. Son dernier opuscule rassemble sous le titre Vers le Christ par ses Ćuvres, trois sermons prononcĂ©s dans lacathĂ©drale de Bourges. Mais il doit sa gloire littĂ©raire et son aura parmi les lycĂ©ens, aux Ćuvres profanes quâil signe Lucien Donel. On trouve ainsi des recueils de nouvelles, contes du terroir : « Corniches », « Devant lâĂątre », « Ma sĆur Anne », « Aux champs des Mardelles », rĂ©cits Ă©pisodiques⊠des romans : « Pilleurs dâamour », « Le Chardon bleu » et « lâAugure » roman rĂ©aliste et Ă thĂšse â celui-lĂ mĂȘme Ă©voquĂ© par Giraudoux â dans lequel lâauteur condamne pour leurs consĂ©quences les mariages consanguins. En gĂ©nĂ©ral, Lucien Donel sâinspire du Berry, de ses paysages, de ses habitants et de leurs coutumes. Collaborateur de La Revue de Paris, lâabbĂ© Jouve Ă©crit aussi dans les pĂ©riodiques locaux. La Revue du Berry ou la Revue du Centre publient, signĂ©es sous nom, des nouvelles : « En migration », « le Chevalier noir », « LâhĂŽte de la GrangiĂšre », « Les Marivoles », « Petite Maman »âŠ
ConfĂ©rencier â notamment Ă lâAlliance Française â il disserte indiffĂ©remment sur le Romancero berrichon ou sur les insectes aquatiques des Ă©tangs de lâIndre. Causeur inĂ©puisable, il reçoit dans lâappartement quâil occupe au lycĂ©e, avec sa sĆur pour gouvernante, les Ă©lĂšves qui ressortent Ă©blouis par sa conversation et par les collections quâil prĂ©sente dans des vitrines. Son enseignement religieux se termine souvent par des lectures plus profanes, soit de ses propres Ćuvres quâil teste ainsi sur ses jeunes ouailles, soit des best sellers de lâĂ©poque, Emile Zola, Paul FĂ©val ou Jules Verne.
Un tel personnage ne peut que sĂ©duire les lycĂ©ens qui lâon surnommĂ© « Aramis ».MalgrĂ© ses Ă -cĂŽtĂ©s profanes, lâabbĂ© Jouve est unexcellent prĂȘtre dont lâinfluence spirituelle est forte. Les catĂ©chismes de persĂ©vĂ©rance sont largement suivis et il est remarquable quâen 1907 (aprĂšs la SĂ©paration), seuls seize internes ne suivent aucun exercice religieux.
Entre lâabbĂ© et Jean Giraudoux, une vive sympathie, doublĂ©e dâadmiration, sâinstaure. Le jeune garçon devient enfant de chĆur, servant le dimanche Ă sept heures la messe de lâabbĂ© Jouve dans la chapelle du lycĂ©e. CâĂ©tait, dit Aucuy son condisciple (*) « un vĂ©ritable enfant de chĆur. Il nous apparaissait comme une façon dâange blond, blanc et rouge, doux, simple, harmonieux, discret, et câĂ©tait si frappant que le prĂȘtre lui souriait ouvertement quand il se tournait vers luiâŠÂ »
(*) Mar Aucuy : La Jeunesse de Giraudoux
Lors dâun sĂ©jour Ă lâinfirmerie de son enfant de chĆur, lâabbĂ© apporte des livres, les cinq volumes du Bossu que Giraudoux dĂ©daigne pour pleurer sur le Bigarreau dâAndrĂ© Theuriet que lui a apportĂ© DuchĂąteau.
Le 17 juin 1894 , « en la chapelle du lycĂ©e de ChĂąteauroux », Jean Giraudoux fait sa premiĂšre communion« avec ferveur » nous dit Albert Laprade qui raconte lâanecdote decette image de communion confectionnĂ©e par le jeune garçon parce quâil nâa pu en faire imprimer ; image offerte Ă ses condisciples et amis, les frĂšres Bailly, Laprade⊠en 1900, lâabbĂ© Jouve verra partir Giraudoux vers un« nouveau monde tout neuf ». Il restera encore au lycĂ©e jusquâen 1910.
LâarrivĂ©e de nouveaux professeurs aux idĂ©es avancĂ©es, lâinstauration des lois laĂŻques sur la sĂ©paration de lâEglise et de lâEtat assombrissent quelque peu lâabbĂ© Jouve. Les rapports avec DuchĂąteau lui-mĂȘme se sont dĂ©tĂ©riorĂ©s. La « TrinitĂ© sainte » a vĂ©cu. LâabbĂ© Ă soixante et uns ans lorsquâil se rĂ©signe Ă quitter son cher lycĂ©e oĂč pendant trente ansil a exercĂ© son autoritĂ© spirituelle et intellectuelle. A Bourges oĂč il se rend, il va devenir chanoine, une « fin de carriĂšre » dirait-on aujourdâhui. Il prend sa retraite dans son pays natal, Ă Bigny-Vallenay, oĂč il dĂ©cĂšde le 22 avril 1919. Jacques des Gachons, prĂ©dĂ©cesseur de Jean Giraudoux au lycĂ©e de ChĂąteauroux et trĂ©sorier de la SociĂ©tĂ© des Gens de Lettres, rendra un ultime hommage Ă lâabbĂ© Jouve dans un numĂ©ro dâaoĂ»t-septembre (8 et 9) de 1919 de la Chronique de la SociĂ©tĂ© des Gens de Lettres. Au dĂ©but de ce propos, je trouvais un peu laconique cette Ă©vocation de la mort de lâabbĂ© Jouve, peut-ĂȘtre est-elle tout simplement incomplĂšte, tronquĂ©e de trois mots Ă peine murmurĂ©s : « mon enfance adieu »
J.L VERGEADE
M.LAMOUREUX(trĂšs ancienne famille de Vallenay) qui a bien connu lâabbĂ© Jouve, nous disait : « que le Chanoine Jouve avait fait de notre vieille cure une demeure agrĂ©able. On se plaisait Ă visiter ses faisans dans la cour, ses collections de pierres, de fossiles, dâoiseaux naturalisĂ©s. Jâaimais sa conversation instructive.
Comme sâil sentait sa fin prochaine, en juin 1919, il mâavait prĂ©parĂ© une petite collection de minĂ©raux et fossiles et remis des exemplaires de ses Ćuvres littĂ©raires qui lui avaient valu dâĂȘtre admis Ă la SociĂ©tĂ© des Gens de Lettres »
Source : Vallenay d’hier de Maurice Larguinat